Le livre m’a été conseillé par Margot Mucci, elle parle de « gros crush » et comme toujours, de ses crushs je m’en méfie. Mais c'est publié aux éditions de l'iconoclaste et pour le moment, que de belles surprises. So, ouverture du livre : « tekber ou tensa. Tu vas grandir et tu vas oublier » et voilàààà j’ai très envie de le lire. J’espère que ça va être un récit intelligent — ça l’est.
« Marc Winzembourg n’était pas ce qu’on appelle un type inquiet. Il avait ce truc rassurant qu’ont les héros dans les films pour enfants, la conviction que la pire des situations n’est jamais perdue. »
À vrai dire, le récit nous balade un peu ; c’est l’histoire de qui, au juste ? Celle de Wilfried qui perd tout, oui, très bien. Mais après ? J’ai eu l’impression de tomber sur une sorte de système solaire ; le gamin arraché à sa vie comme soleil et puis les autres qui gravitent. Viviane, Nina, Marc, Louise, Driss, tous.
Une écriture qui va bien et qui transmet l’essentiel au travers de dialogues intelligents et pas forcés. Des wesh et des barres de rire qui sortent des cités, et pas d’un auteur qui aurait imaginé que ça se passe comme ça. La sincérité qui se dégage de ce texte est un joli trésor que je ne m’attendais pas à trouver.
J’aime beaucoup. La violence brute, présente sans sens mais pas sans passé.
« François quitta la table. On l’entendit monter les escaliers quatre à quatre et Wilfried pensa qu’il en resterait là. Une porte claqua. Il réapparut à l’entrée de la cuisine, le poing serré sur le manche d’un couteau. En voyant la lame briller sous le plafonnier, Dounia se fit la réflexion que, en effet, cela faisait un moment que les couteaux de cuisine disparaissaient. Elle eut juste le temps de pousser Moussa dans la première chambre et de fermer derrière eux. François poignarda la porte en hurlant comme un possédé. Quand les flics arrivèrent, il se tapait le crâne sur le sol. »
Quelques longueurs, on se fait un peu balader — comme dans Polisse, on parle de tout le monde et de personne à la fois — une histoire par-ci, un revirement par-là. Tout revient à Wilfried mais quelques ellipses me frustrent. C’est un parti-pris que d’expliquer les autres, je le sais bien. Moi je reste un peu sur ma faim.
« Ça dégénérait. Dounia se saisit des couteaux oubliés sur le plan de travail.
— L’autre, elle a un prénom, bâtard ! lança Viviane.
— Mais ferme-la, pétasse, va !
Wilfried attrapa Julien à la gorge.
— Oh oh oh oh, parle bien, fils de pute !
Il colla son front contre le sien. Viviane se mit à crier.
— Putain Will, lâche-le ! Lâche-le !
Il desserra sa prise, laissant des traces blanches sur le cou de Julien. Viviane criait toujours.
— Tu m’as entendue appeler au secours ? Tu m’as entendue te supplier ? Merde, Will, c’est quoi que tu comprends pas ?
Elle articula :
— J’ai besoin de personne ! PER-SON-NE ! »
Parfois on effleure une intimité, souvent on en reste très loin. Impossible d’avoir accès aux personnages de trop proche et c’est cette distance que souvent j’aurais aimé grignoter.
D’autres fois, la justesse est posée sur quelques mots en je reste devant mon livre, pas vraiment étonnée mais subitement posée par deux phrases.
« — Pourquoi t’es comme ça ?
Insécurité affective. Peur de l’abandon. Autodestruction.
— Je sais pas. »
C’est un milieu que j’ai effleuré — puis-je réellement dire côtoyé avec mes études, mon appart et mon CHEVAL ? je… nan, du tout — et le livre porte à merveille les quelques secondes, les quelques choix, la petite décision qui fait subitement déraper la vie.
« Plus tard, on m’a expliqué que tu répétais ce que tu avais connu, et qu’on ne peut pas éduquer quand on n’a pas reçu d’éducation. On appelle ça la reproduction. Pour faire simple, maman, ça veut dire que les pauvres restent pauvres, et que les femmes violées font des filles qui font le trottoir. »
Merci à Mathieu Palain de m’avoir remis dans les mains l’importance des mots et leur impact, que tout a un sens autant que rien n’en a vraiment. Le pouvoir fort des gens qui restent, le pouvoir absolu de ceux qui partent.
« Retenez ça : les erreurs se paient cash. »
C’est important de distiller de la violence et des conséquences dans une rentrée littéraire qui parfois prône le joli, le beau ou l’affreux pour l’affreux, les policiers avec des corps découpés sous prétexte que les gens sont fous. De remettre de l’humain à la place du psychopathe et du sens là où on dit souvent sous-éducation, débiles, racailles.
« Sachez qu’on ne s’en sort jamais seul. Ceux qui se vantent du contraire sont des menteurs. »
Et puis, pour conclure, lisez-le pour les fils tirés sur nos émotions : un soupçon de peine, quelques gouttes de coeurs serrés et une pincée de sourires francs.
« — T’as enlevé ta minerve ? À l’hosto, ils avaient dit deux semaines. Ça fait même pas six jours.
— J’en pouvais plus. Ça me donnait chaud et ça m’empêchait de bouger.
— Je crois que c’est le but, Nina, de pas bouger.
Elle tira la langue, comme une enfant. »
Quand on prend soin des gens alors souvent, parfois, peut-être ils peuvent à leur tour prendre soin d’eux, puis soin des leurs.
Et c’est précieux, ça, non ?
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