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Gaelleis

Pardon, s'il te plaît, merci.

Certains livres sont là où on les attend, d’autres, non, vraiment pas.

« Je peux savoir que c’était un jeu et toujours y accorder de l’importance. »





Je ne connaissais pas l’auteur et ne savait donc pas dans quoi je m’embarquais. Pardon, s'il te plaît, merci, par Charles Yu aux forges de Vulcain vs Moi, rarement conquise par les nouvelles, toujours sceptique face à de la SF tournée vers le consumérisme de masse et le space-opéra, j’avais tout pour n’aimer qu’à moitié et au final, j’ai absolument adoré.


Y’a une nouvelle nommée « Guide sur les humains à l’usage des débutants. Chapitre 5 : entretenir une relation avec sa famille élargie. » Rien que ça, c’est génial, non ?


« Tout s’expliquera à la fin. C’est ce que j’espère, du moins. Au fond de moi, j’ai toujours pensé que ce serait le cas, même si dernièrement je me demande d’où j’ai bien pu sortir cette idée »

L’auteur mélange toutes les frontières et ne définit qu’à mi-mot ses mondes, souvent au travers d’un narrateur masculin adulte, souvent peu convaincu par le déroulement de sa propre vie, assez sceptique, naviguant entre déception et fatalisme.

« Je ne sais pas. J’essaie de ne pas m’apitoyer sur mon sort. Je ne pensais pas que la vie se résumerait à ça. »

J’ai trouvé l’humour noir et cynique pour autant peu pessimiste, une narration décalée très en retrait de l’histoire. On rentre rarement dans la détresse même des personnages, on voit naitre une histoire d’amour sur le bout des lèvres, des kilomètres en deçà de toute déclaration romantique.


« tu sais Deepak, quand tu dis que tu mérites mieux, même si c’est vrai, tu sous-entends plus ou moins que je ne mérite pas mieux, et peut-être que c’est le cas, peut-être que je suis exactement là où je devrais être, entre la fourchette haute et la fourchette basse de ce que je vaux en tant que personne, mais j’aimerais bien que tu évites de le dir, parce que chaque fois, ça me fait vachement mal au coeur, et ensuite, je me sens miteux pour le reste de la journée. »


Le recueil est surtout redoutable d’intelligence. Quelques phrases pour construire un caractère, une présence dans une histoire, quelques autres mots pour poser le décor pourtant à des années-lumières du nôtre. Il n’est pas question d’une rue parisienne, ici, mais d’un magasin grand comme plusieurs pâtés de maisons dans lequel une jolie zombie vient essayer un rouge à lèvres qui irait bien à sa carnation.


« Une vie libre de tout désir inassouvi n’est pas ce que vous souhaitez. une vie dénuée de désirs inassouvis est une vie dénuée de désir. »


On passe d’une histoire défaite d’une société qui propose aux gens de ne plus souffrir et de payer d’autres gugus pour souffrir à leur place, à un space-op qui nous emmène sur d’autres planètes, à une nouvelle héroic-fantasy qui nous plonge dans un jeu vidéo. C’est ma préférée je pense, maniée avec un art de la narration, honnêtement, incroyable. Il n’y a jamais de surplus, elles sont rongées jusqu’à l’essentiel — l’essentiel étant parfois le monologue d’un patron d’entreprise, oui.

Certes.

Mais l’essentiel étant l’unique présent tout de même.

Avec en plus, une pointe d’absurde qui décale tout d’un iota, rendant le tout absolument délicieux. Je me répète mais, qu’est-ce que c’est intelligent !


« Krugnor se tourne vers moi.

— C’est ton groupe. Ça l’a toujours été.

— Mais alors pourquoi tu roulais tout le temps des mécaniques en fanfaronnant, hein ?

— J’essayais de t’impressionner, murmure-t-il.

Je jette un regard au groupe et je le vois au fond de leurs yeux. Ils se disent : sérieusement ? C’est lui que t’essaies d’impressionner ? Je sais que je n’ai pas été à la hauteur, mais il n’est pas trop tard. Si le nouveau guerrier super fort et super séduisant, est prêt à me suivre, alors peut-être que les autres arriveront à se souvenir pourquoi ils m’ont suivi jusqu’à ici. Peut-être que je m’en souviendrai aussi. Peut-être. »


Il joue avec le lecteur, faisant éclater parfois le quatrième mur, proposant d’effacer la ligne entre narrateur, personnage et auteur. Le monologue incessant du pauvre Murray est déformé par l’entrée de Rick, dans sa tête et sur nos pages : « Tu n’as pas encore compris ? Je suis ton narrateur, Murray. »

L’ensemble est plaisant, se lit vite mais ne force pas à suivre avec assiduité une histoire. On peut le prendre, le poser, reprendre plus tard. Je pense que je le relirai pour essayer en comprendre toute l’étendue, mais clairement, je le conseille. Autant à lire qu’à offrir, il y aura forcément parmi ces mini-mondes un moment qui plaira au destinataire.


« Il s’agissait d’un geste et non d’une action, et si je l’exécutais, ce n’est pas réellement parce que j’avais envie de toucher Samantha. C’était pour me sentir le faire et que les autres nous voient comme le genre de couples qui exprime son affection de cette manière. »

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