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  • Gaelleis

Journal de L

Voici donc le Journal de L. de Christophe Tison aux éditions Goutte d’Or. Avant de parler du texte : le livre en lui même est absolument incroyable. Il est couvert d’une dorure très orangée, possède des rabats stylés qui forment le prénom de la demoiselle et l’avant est frappé en relief de la première page du roman, de celle qui dit « un orifice sanglant ».

C’est soigné, c’est propre, c’est esthétique, d’une couleur crème - ou ivoire - avec des pages aérées. Très joli pour un prix raisonnable ; je l’achète sans avoir lu Lolita auparavant, je ne sais pas de quoi va parler l’auteur mais il est si joli.. je repars avec à la librairie Décitre de Grenoble chez qui je crois toujours aller faire du repérage pour finir avec dix livres sous le bras.

BREF.

Les citations en exergues sont choisies avec intelligence, maintenant que je les relis après avoir terminé je le vois d’auteur plus. L’histoire en elle-même n’est pas à propos des rebondissements ni des surprises : il n’y en a pas. Le cheminement de la pré-adolescente jusqu’à sa presque majorité reste pourtant extraordinaire, malaisant, triste à en vomir ; raconté par une écriture voulue de journal, on est aux premières loges quant aux sévices subis.


« Quand tout fut fini, il a pris ma main et l’a posée sur son sexe encore dur. Elle en faisait à peine le tour. »

Et oui, elle a douze ans, là. Et oui. L’auteur n’insiste pas dessus pour autant, Dolores s’accommode de ce qui est comme elle peut, franchement victime mais capable de se sortir de ce carcan comme on réussirait à se sortir de la fosse aux lions.


« Moi, ce que je voudrais, c’est vivre dans un monde où on n’est pas obligé de croiser les jambes. »


La maturité est insufflée petit à petit dans le texte, ce qui est un tour de magie dans un enchainement presque à flux tendu. Quelques ellipses mais pas énormes non plus. Lola balance entre le désir absolu d’appartenir à un endroit et d’être aimée, et celui de se barrer.

« C’est fou comme on préfère toujours la souffrance et l’inconfort quotidien à l’inconnu et au bonheur possible. »


Si au début elle cherche de l’aide à l’extérieur (lorsqu’elle conduit avec « sa petite valise sous ses fesses » en espérant que quelqu’un trouvera ça bizarre) bien vite, elle trouve en son ventre les ressources pour se sauver elle-même.


« C’est peut-être pour ça que j’ai roulé à gauche. Pour voir. Voir si j’existais encore. »


La langue est okay, posée comme une ado dirait les choses, certes, mais avec quelques perles qui disent la vérité des choses en racontant sans exhaustivité ce qu’il s’est passé.


« Hum n’obtiendra rien de moi, ni à Robbinsville ni ailleurs, à part mon corps sous la contrainte. je sens bien qu’il cherche à baiser quelqu’un ou à baiser avec quelqu’un. Mais ça ne sera pas avec moi. Dans ces moments-là je ne suis personne, juste un morceau de viande dans lequel il est seul et dans lequel il sera seul jusqu’au bout. Je fais mes yeux de poisson mort, vides et sans âme, en attendant qu’il ait fini. je suis sa promesse non tenue, l’abîme où il crèvera, je suis un trou sans fond. »


Bon, j’avoue que je le trouve bien mais qu’il ne m’a pas transcendée. C’est bien fait, c’est intelligent, intéressant mais pas révolutionnaire avec un ventre un peu mou.


« C’était aussi facile que de tomber d’une fenêtre ouverte. »

Les personnages pourraient être attachants si nous-mêmes on était détachés. Peut-être que vous pouvez l’être, moi… pas vraiment. Je ne sais pas ce que ça fait que d’être dans la position de Dolores, mais j’avais envie de tous leur crever les yeux, un bouillon de colère dans le ventre et Dolores elle ne dit jamais je suis partie parce que tu me violais. Il n’empêche que ce personnage principal, mature de force, a une telle honnêteté dans les mots.. ça c’était vraiment cool.


« Elle passait ses robes idiotes parce qu’elle voulait plaire et être aimée, elle écoutait un concerto parce qu’elle espérait en éprouver la beauté, elle était émue par des chanteurs et des écrivains populaires parce que son coeur était simple et pur, et elle lisait les articles du Times ou du Post parce qu’elle voulait comprendre le monde et qu’elle voulait en faire partie, elle aussi. »



Je ne sais pas si ça vous intéresse dans les livres, les artifices de l’écriture, où le COD est placé et l’effet que produit tel adverbe, mêlé à tel temps. Mais le petit « elle aussi » placé comme ça, après une virgule finale qui rejette deux mots en répétant le premier, c’est d’une redoutable intelligence. Tout comme résumer un comportement par un désir humain et absolument commun de tout le monde, forcément ça fait mouche.

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« Sur le chemin du retour, j’ai songé à ce secret que je porte en moi et qu’aucun avortement ne pourra m’enlever, ce secret qui noie l’amour, le laisse pourrir. et j’ai voulu mourir. Mais, bon, je suis rentrée quand même. Il y avait un magnifique coucher de soleil, un coucher de soleil pour quelqu’un d’autre. »


L’amour est souvent très bien dit également, beau sans en faire trop, honnête mais pas dégoulinant.


« Il a le bras droit posé sur mon dossier juste derrière mon cou et j’ai des frissons quand ma nuque le frôle. »

Et parfois, comme ça, une référence à Baudelaire.


« La pluie. Fine, régulière. Et un ciel gris sans fin, comme un couvercle. »


Enfin voilà. Lisez ce bouquin pour des mots justes sur une vie incroyable, pour Dolores, Lolita, Lola et son désir de vivre qui n’en finit pas de s’étirer, pour une poésie du quotidien qui pose un regard différent sur le monde.


« Mais aujourd’hui, mais ici, dans la sombre hacienda des parents morts, l’ombre de Clare est restée dehors, petite et courte sous le soleil qui brûle tout c qui vit et ce qu’on imagine. Même les ogres. »


Lisez-le pour le cynisme, pour l’amour, pour ces vies qu’on pourrait dire misérables mais qui sont pleines, ardentes, humaines.


« Il y a de quoi rire, et de quoi tuer, c’est vrai. »


Lisez-le, enfin, pour les métaphores, les comparaisons, les images de toutes sortes, de celles qui trouent le ventre et de celles qui font briller l’avenir, les plaisirs simples et le moment présent.


« Ses yeux ressemblaient aux fenêtres d’un hôpital en feu. »
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