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  • Gaelleis

COUP DE COEUR : Cent millions d'années et un jour

Bon.

J’ai craqué alors en librairie pour trois livres de la rentrée littéraire. Ayant vu passer la chronique de Bookimia, j’attrape Cent Millions d’années et un jour — le pitch ne me plaît pas, la couverture me laisse un peu dubitative avec des pélos au sommet d’une montagne cheloue, et bleue (l’ancienne était mieux) — et je repars quand même avec.

Allez savoir.

J’ai dans ma besace deux livres des Forges — comme c’est étonnant ! — mais j’en reparlerai une autre fois.


« Destination ?

J’ai répondu terminus, l’endroit où je vais n’a plus de nom. »





Un peu lassé des littératures de l’imaginaire, je suis bien content de me retrouver avec de la blanche tout en redoutant l’inévitable — on dirait — ces derniers temps : une fin qui ne finit sur rien du tout. Une amorce d’histoire qui, comme on se trouve dans la vie réelle, n’aboutit à rien.

Comme Ça raconte Sarah.

Je comprends le côté réaliste, les héros qui n’en sont pas qui ne réalisent rien, mais les gens qui deviennent fous, des fois je les pose sur ma table de chevet et je ne les reprends jamais.

J’adore ce livre. Dès les premiers pages j’ai su que, okay très bien, bravo, j’étais amoureuse. La plume est d'une beauté qui me suffit à me tourner les pages, malgré une histoire polie et douce. La maquette et l’harmonie des couleurs en général fonctionnent à merveille sur moi, des grosses marges, des folios placés à un endroit vaguement original mais pas de grosse prise de risque. Les romans aérés sont les plus beaux.

La langue donc, m’a happée — peut-être qu’elle est plus travaillée que ce que je ne le pense — des termes assez spontanés avec des éclats de discours indirect libre, puis rapporté, puis un dialogue humain et concret. J’ai corné des dizaines de pages tellement certaines tournures renvoyaient l’image d’un objet ou d’un homme avec clarté, précision et simplicité, sans pour autant le qualifier avec la banalité de ses signifiants. Les choses étant des images poétiques ou terre à terre plutôt que de simples adjectifs, le livre m’a parlé à moi en me disant sûrement des souvenirs que mon voisin ne trouverait pas (à qui il dirait des histoires que je ne pourrais pas comprendre.)

Universel et resserré sur l’individu à la fois.


« Umberto avait vingt ans, moi cinq de plus. Nul ne m’avait annoncé sa venue, je n’avais jamais eu d’assistant et, surtout, je n’en avais pas demandé. Personne à l’université ne savait ce qu’il faisait là. On avait fini par trouver son nom dans un dossier au service de la paie, ce qui avait suffi à justifier sa présence. Si on le payait, c’était qu’il servait à quelque chose, non ? Nous avons compris plus tard qu’il faisait partie d’un programme d’échange entre l’université de Paris et celle de Turin. Malgré une enquête approfondie, nous n’avons pu déterminer qui nous avions égaré à Turin. »


Le mélange des langues — un peu de patois, d’italien, de langue vieillie, d’allemand — fonctionne à merveille de donne des couleurs au texte qui, à cause du but de l’expédition, se retrouve très vite blanc, chrome et bleu.


« Je me suis tourné vers Peter, main tendue.

— Enchanté.

Mon premier mot pour ce gamin fut un mensonge. »


Le personnage de Stan (Stanè) est humain, tellement humain que forcément qu’on l’aime. Non ?

Le livre nous raconte comment au final, nous sommes le produit et la somme de nos expériences, mais surtout de notre enfance. Rien n’est le fruit du hasard, on s’accroche tout le récit à des points précis de son passé pour expliquer ce que Stanislas est aujourd’hui.

Il est les coups de son père, son chien bleu et son trilobite, même à cinquante ans, même fou, même torse-nu dans la neige.


« — Apatosaure ? suffère Peter. Diplodocus ? Ou alors…

Son regard s’illumine. Je devine ce qu’il va dire, parce que nous avons les mêmes ongles.

— Ou alors brontosaure.

Les mêmes ongles, et les mêmes rêves.

— Ou licorne, assène Umberto. »

Je le lis sans impatience parce que tout est intelligent (surtout le début à vrai dire) et dit avec les mots suffisant — de ceux qui ne s’étalent pas trop, mais disent suffisamment pour qu’on puisse nous-même raconter le reste. J'ai rencontré l'auteur avec l'appréhension que ça me fasse commeà chaque fois : que l’auteur explique des passages et me tue mes sensations à moi. Ça n’a.. ça n’a pas loupé. Mais tant pis, il est intéressant, gentil et sincèrement investi, c’était un bon moment.

 

« Le sentier s’est tari. Il ne coule maintenant plus qu’un filet de cailloux sous nos pieds, parfois entrecoupé d’une orgie de racines. La vallée se resserre, sa verticalité s’aggrave. »


Autre chose de réussi : les dialogues. Souvent (très souvent — trop souvent) les personnages rigolent sans moi. C’est écrit là, sur le papier, qu’ils se marrent tous, et je hausse un sourcil en me disant, mais putain, c’est pas drôle (un peu comme dans la vraie vie).

Pas ici.


« — Ja. Wölfen.

— Wölfen ? Il y a loups, ici ?

— Ja ; Ou alors de grosses marmottes. »


Alors que le personnage principal est super angoissé, on lui rit au nez.

Parfait j’adore.


« Les loups et moi, c’est une vieille histoire. Petit, je les entendais couler en hordes silencieuses des pentes au nord de la ferme, leurs yeux clignotaient dans mon placard, sous ma commode, ils se faufilaient dans les fissures, ils se glissaient partout où la nuit existait et notre maison en était pleine, de fissures et de nuit. »

Ça raconte bien la peur, la joie, ça raconte bien les défaites, les solitudes et les humiliations. Certaines histoires de petit garçon ne m’ont pas eue, la robe qui se déboutonne et puis rien, la claque pour la barbe à papa et le goût de fraise qui rapporte au présent — c’est dit mais c’est sans moi.

Ce n’est pas grave, il y a d’autres choses à trouver.


« Mais quand le vent souffle, accrochez-vous à votre âme. »



Les images vous resteront, j’en suis sûre, comme elles sont restées avec moi.


« J’ai la gentillesse ébouriffée des abeilles, je pique parfois sans m’en rendre compte la main qui m’approche, parce que je crois par habitude qu’elle va m’écraser. »

Ça raconte l’allégresse et la simplicité, les petits moments hors du temps qui comptent à dix, trente, cent vingt ans.


« Tour de stade le doigt en l’air. Peter claudique hors de la tente, dribble Umberto, Umberto se roule par terre en hurlant, l’Allemand passe, frappe maladroite de Stan entre deux sacs posés par terre, incroyable arrêt de Gio, les gradins se soulèvent et nous acclament, un rugissement de marmottes et de vent dans l’herbe. »

(oui, j’aime bien les marmottes)

Les personnages sont humains (un peu lourds de drame, c’est vrai, je l’entends aussi) mais nous sommes loin des personnages résumés par leurs actions. Je m’explique : après avoir lu (trop) beaucoup de Young Adult où les petits êtres peuplants les pages ont une fâcheuse tendance à l’auto-destruction, la manipulation, le besoin de prise en charge par autrui, le besoin d’attention, les villes chargées de clopes et de drames amoureux, j’ai tellement tellement aimé le sujet plus direct, franc, épuré.

Des gens qui sont des gens, sans enjeu absolu dans les relations présentes. Quatre gars dans la montagne et les corps racontés sans le sexe, sans résumer la beauté, la fragilité, la douceur ou la patience aux rapports avec une femme.

Pas d’amante, seulement une fiancée et une mère.

Parfait.


« La foudre brésille sur les cimes et les écrête,

elle remodèle le paysage à coups d’arcs électriques sous un ciel hématome. »


Le traitement des couleurs, la délicatesse des mots et de l’amour, léger, fuyant. L’humanité, encore.


« C’est vrai, Umberto, j’ai menti. J’ai appris jeune, c’est une longue histoire, une histoire au goût de fraise qui ne t’intéressera pas.

— Je suis désolé.

— Moi aussi, Stan.

Il s’est éloigné sur un soupir, emportant cette petite syllabe qu’il ajoutait toujours à mon nom, et dont je n’avais jamais compris qu’elle était une syllabe d’amitié, un jeu entre nous. »


Il y a aussi l’épreuve du temps qui passe, des amis que l’on garde dix, vingt, trente ans. Du choix de nous raconter une histoire bien précise à la lumière de souvenirs plus flous. Les surnoms glissés au milieu des non-dits.


« Gio avait raison. En montagne, on meurt d’arrogance. »


Et puis cette fin de littérature blanche qui ne sait pas choisir, l’espoir meurt bien vite dans ce livre que je froisse entre mes mains — j’ai deviné dès la moitié où on allait.

J’y suis résignée et ça ne me plaît pas, ça sent presque l’épilogue à plein nez. Je ne me trompe pas d’ailleurs, il y a un peu de beau à la fin après les tourments de la folie — j’m’y attendais de toute façon.

Alors d’accord.

Les cinquante dernières pages sont là. Elles disent un peu de vérité, beaucoup de tourments et une fin que l’on guette à chaque coin de page - pas le meilleur mais sûrement une conclusion nécessaire.


Mais lisez-le. Lisez-le pour l’aventure, la nature, la folie, les hommes qui font des racines dans le même pot pour mieux en être arraché. Le dépassement, la crainte, l’enfance, les gifles au goût de sang et les chiens bleus qui ne reviennent jamais.

Rares sont les livres à vraiment me marquer ces derniers temps et à rester avec moi longtemps, mots et personnages compris mais là, là, bien joué, c’est un texte que j’emporte sur plusieurs années.



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