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  • Gaelleis

Clouer l'ouest


J’attrape le livre avec mes préjugés : je ne vais pas aimer. C'est Patrick K. Dewdney qui me l'a mis dans les pattes, mais je suis vraiment pas emballée. La couverture me le dit, le genre aussi, la maquette également (par contre, le papier qui accroche sur les doigts à chaque page caressée, c’est un régal). Pourtant je lis les premières pages en souriant — j’adore avoir tort — la plume est incroyable.


« Il faut bien, que les choses se soient passées d’une certaine façon. Les choses. Des choses ayant à voir avec lui. Avec un père et ses satellites-fantômes, reconstruits. »

Mais le fond reste lointain pour moi du début à la fin. J’ai la désagréable sensation de passer à côté de quelque chose qui est pourtant juste sous mon nez et que je devrais voir.


« Et il ne suffit pas d’avoir été protagoniste ou témoin, pour savoir, comment les choses se passent. Sans doute est-ce toujours une combinaison d’hypothèses, de suppositions, de prélèvements ; une articulation subtile entre ce qui semble être et ce qu’on imagine ; la manière propre de fomenter nos récits, tous ces dispositifs préalables invisibles qui orientent, lient et relient, structurent les fragmentations. »


Le roman parle de neige et résignations si grosses qu’elles engloutissent les gens. Mon pote de train se moque un peu quand il me voit trainer ma moue sceptique tout le long du trajet : moi je l’ai lu, et j’ai adoré. Et il ajoute même, alors que j’ai rien dit du tout : c’est même pas une question d’âge, ma petite fille l’a adoré aussi. Je crois que c’est même une question de perception.

Retour à la case du « je passe à côté de quelque chose ».


« Il compte encore jusqu’à dix avant de sortir. Il entend les échos de leurs rires se perde dans la forêt. Une libellule jaune et noire le frôle et s’évapore, un vrombissement ténu. C’est le coeur de l’été, mais l’ombre a maintenant recouvert l’étendue d’eau, et il a froid. »


L’histoire c’est Karl, à qui il manque un bout d’oreille. C’est Pierre, à qui on a volé les vêtements, potelé, l’Indien. L’histoire c’est Angèle qui ne parle pas, Tak le chien, le Doc et le sexe dodu de Mariline. C’est Odile aussi, mémé qui meurt avec un insecte à l’intérieur, la bête qui rode et qui s’écrase dans les rochers. Peut être que le soucis principal, c’est que je lis partout, tout le temps, tant que je n’ai pas terminé le roman. Il m’a accompagnée sur mon oreiller, il a pris l’odeur de ma clope de cinq heures du mat, il a pris le train, le tram et je ne suis pas certaine avoir réellement apprécié trainer des histoires familiales glauques et distendues, dysfonctionnelles et distantes pendant quelques jours. Tout, est, noir. Il y a des toutes petites tâches d’espoir que l’autrice s’empresse de lapider.


« Les deux hommes regardent la petite fille et l’animal presque enlacés, tandis qu’un nouveau jour se lève, un peu. Un peu seulement, en réalité, car le ciel s’abaisse plutôt, comme s’il allait bientôt tout comprimer, aplatir, laminer. »

Ah bon.

Il y a quand même un point qui m’a eue et qui m’a fait penser aux mots d’une madame que j’aime bien : les enfants de sont pas des tonneaux des Danaïdes dans lesquels on peut déverser tout notre amour, comme ça, comme quelque chose qu’on pourrait donner sans fin et sans but.

Quand Angèle presse sa paume contre celle de quelqu’un qui n’est pas son père, c’est pas vraiment injuste.

Les paysages sont décris plusieurs fois comme blancs, l’absence de couleur est presque totale, presque tout le temps. Les gens se réchauffent autour des feux et de l’alcool, rien n’émane d’eux. La mère ne reconnait pas le fils et pense qu’on l’a remplacé, que c’est un imposteur. Que dire de ça ? Il y a des morceaux semés que je ne suis pas certaine de comprendre, j’attrape des choses au vol sans pouvoir m’y accrocher.

La violence, ça, je sais voir.


« Il pense à une église entièrement vide quand ce sera à son tour, d’être mort. »

Je sais bien que la lecture c’est ça, aussi, c’est faire la moitié du chemin et déformer les textes selon le prisme de notre expérience, nos valeurs, nos amours. Y’a un passage qui m’a fait sourire : « Par réflexe ancestral, il a pris soin de contourner la peau de sanglier étalée devant la cheminée » parce que mon grand-père avait une peau de quelque chose chez lui et jamais, mais alors, jamais, je n’ai posé ne serait-ce qu’un orteil sur cette chose. Du coup, j’imagine bien volontiers le corps de Karl ménager une bulle invisible autour de ce tapis-mort.

Anecdote à part, le roman est au présent et ça, ça c’est vraiment cool. Je suis pas assez cultivée dans le domaine du roman noir (les mauvaises langues diront dans la littérature et ils auront sûrement raison) pour savoir si c’est courant ou pas, mais j’étais agréablement surprise.

J’aime bien — en général — la spontanéité que crée le présent.


« Elle peut sentir le vent, le froid qui pique, le fric frac sous ses pas minuscules. (…)

Elle marche dans l’aube qui naît.

Elle marche dans l’orée du jour qui sera encore sans ombres, gris.

Angèle n’a pas peur.

Étonnamment, elle n’a peur de rien. »


Bref, voilà,

c’est tout pour moi. Je sais pas si j’ai aimé ou pas, je sais pas si les gens devraient le lire ou pas.

Je sais pas si je vais le donner ou pas.

Je sais pas.

Mon tattoo est adapté au thème principal, though.




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