Première critique que j’ai du mal à écrire. Comment séparer l’objectif du purement émotionnel et subjectif ?
(Rien que la playlist, mais oh là là, j’ai à nouveau 15 ans, Phoenix qui résonne au bord de lac alors que je démêle les cheveux d’un gars dans l’eau claire, après lui avoir écrasé des chamallows fondus sur le crâne)
Première fois que j’adore un roman sans savoir comment je suis supposée en parler. Comment conseiller une histoire qui nous parle intimement ?
(The 1975 — Sex, j’ai seize ans, enroulée autour d’un corps chaud comme une habitude, je ne sais pas encore que c’est un jeu dans lequel j’ai beaucoup à perdre)
Première fois que je me dis : aux autres je ne sais pas ce qu’elle leur raconte, cette histoire. À moi, ça me dit des bribes de mon adolescence que j’évite de trop côtoyer au jour le jour.
(Twenty-One Pilots — Migraine, j’ai dix-sept ans et j'me dis que si mes suicide days n’étaient que le dimanche… )
Première fois que je ne m’y attendais pas du tout à ce que ça me touche, ou que ça spike des zones sensibles que je pensais bien enterrées.
(For minor - Where d’you go, j’ai dix-huit ans, le refrain rémixé avec des basses repasse pour la quinzième fois, la piscine est bondée de meufs topeless et de gars bourrés, j’suis seule dans la salle de bain, bien au sec, et pourtant j’ai l’impression de me noyer).
Ashes falling for the sky est donc, un coup de coeur.
(Hurts - Somebody to die for, je lis un roman YA acheté sur mon coup de tête parce que j’ai lu une page au hasard, j’en reviens pas de l’impact ; j’ai 22 ans et sur certains passages, je serre les dents.)
Le postulat de base est simple : écrire une romance à quatre mains à raison d’un chapitre par jour. Nine Gorman et Mathieu Guibé. Les premiers pas se sont fait sur Wattpad et y'a pas à dire, après avoir beaucoup traîné sur la plateforme, j'me sens comme à la maison ; c'est Albin Michel qui le sort en GF.
Les clichés sont absorbés et recomposés, parfois comme une copie conforme du déjà-vu, parfois avec du mieux, quelques fois… quelques fois j’ai trouvé que les écueils habituels n’étaient pas évités. Pour autant, j'ai adoré et ça reste le haut du panier en terme de romance. Et puis, ce n’est pas parce qu’on utilise des standards déjà poncés qu’on ne peut pas devenir un classique du genre.
Héhé.
Y’a des passages drôles en plus.
« — Troisième règle : pas de sentiments.
— L’agacement, ça compte ? plaisante-t-elle, en pensant marquer des points.
— Si c’était le cas, on n’aurait jamais atterri dans une chambre, toi et moi. »
Compilation primaire : un bad boy, une fille sage (des gens beaux, bien sûr) ; des passés difficiles, des traumatismes douloureux, la fac, les gobelets rouges, les US, le copain méchant, les coups d’un soir, les quelques personnages secondaires qui gravitent brièvement. Rien de très nouveau, les piliers qui soutiennent l'histoire sont assez ordinaires. J’ai quand même besoin de dire deux trois trucs avant d’avancer pourquoi j’ai adoré cette histoire.
« Il n’a rien du prédateur que Veronica me décrivait. C’est juste un garçon solitaire, qui garde ses démons loin des autres. »
Sur un son des Pretty Reckless le gars est insensible et indifférent, sur quelques notes de Harry Styles les émotions de Sky s’enflamment. Pourquoi pas.
Pourquoi pas, mais. Mais la course du toujours plus est.. dommage. Chaque morceau de roman rajoute une couche de souffrances, de drames, de morts, d’absents, de douleur, de viol, de violences, de coups bas. Je pense que l’alchimie entre les deux fonctionne bien au-delà des immenses obstacles à surmonter.
Sinon, les scripts sexuels sont toujours les mêmes. Ça s’embrasse, ça se déshabille, préliminaires, pénétration, fin. Ça me gêne parce que c’est donner à lire une certaine représentation unique d'une sexualité hétérosexuelle. C’est un parti-pris — conscient ou non — j’en ai bien conscience, mais quid de la responsabilité des auteurs dans ce qu’ils donnent à lire ? Mais c’est un autre débat.
Et j’ai quand même beaucoup aimé le roman.
Et dernier point : il y a un ventre mou dans le roman, un peu, une sorte de flottement où ça n’avance plus, ça souffre à tout va au milieu de zones d’ombres immenses.
Bref.
Sinon.
Rapide point sur le presque-viol-mais-j’avais-envie-mais-j’ai-pas-vraiment-dit-oui-ni-participé-mais-c’est-mon-copain-alors-jsp. Ce genre de passage est nécessaire, ouvre la parole (m’a liquéfié le ventre). Ça tombe juste, bien, les émotions de Sky sont nettes.
Les conséquences pas tellement.
« — Désolée, pour tout à l’heure. Je ne voulais pas être méchante.
— Énoncer une vérité n’a rien à voir avec de la méchanceté. »
Très bien fait.
Mais y’a mieux encore.
Les dialogues ! Les postures aussi des gens et leurs comportements sont extrêmement bien réussis.
« Alors que je m’apprête à tirer une nouvelle taffe, deux doigts se ferment sur ma clope et me l’enlèvent. Je relève la tête. Une grande paire d’yeux bleu-gris : ciel maussade pour une fille blessée. »
Les scènes sont cinématographiques par moment avec des descriptions claires et concises. Quand Ash repousse Sky les joues pleines de bière, non seulement ça me fait rire de bon coeur (ce qui est rare, habituellement je hausse un sourcil au mieux) mais en plus j’avais la scène sous les yeux. Suuuper bien fait.
« Elle compte vraiment me faire boire de la bière comme ça ? Elle a du courage, mais elle manque de jugeote : aucune envie de bousiller mon perfecto pour son petit défi perso. D’autant plus qu’avec ses joues gonflées, elle ressemble à un hamster qui voudrait me rouler une pelle. »
J’ai avalé le roman d’une traite, avide de la suite — alors que je sors de gros coups de coeurs et qu’habituellement j’ai du mal à trouver goût à quoi que ce soit après ça. Les dialogues paraissent spontanés et très naturels, ce que je trouve rare.
« Il porte un verre à ses lèvres et arque un sourcil. J’aime bien quand il fait ça. Je commence à connaître ses mimiques. »
Tout comme l’alternance des points de vue : c’est fluide, pas lourd, intelligent.
« Je me comporte comme un abruti parce que c’est mieux comme ça. Du reste, c’est un domaine dans lequel j’excelle. »
Autre truc à dire : si Sky et Ash rentrent dans les codes attendus, pour autant ils sont différents. Sky n’est pas (si) naive, n’est pas prude, effarouchée, Ash ne lui apprend rien du tout. Elle n'a pas désespérément besoin de quelqu'un pour l'introduire à la sexualité ou au fun, et il est très bien raconté sa difficulté à sortir d'elle-même. Je m'explique : alors que Veronica rage, tempête et prend la place qui lui est dûe, Sky trouve ça dur (impossible?) de dire hého, j'suis là, me roulez pas dessus svp. Ça ne sort pas de nulle part, c'était cool.
Et Ash - merci les gars de l’avoir imaginé comme ça - n’est pas un énorme connard pour le reste du monde et gentil avec sa dulcinée. C’est LE point qui me rend fou quand je lis certains YA : le protagoniste principal est une sale race, méchant, violent, impulsif, colérique mais gentil avec sa meuf donc elle se sent trop privilégiée donc elle est trop touchée.
Mais en vrai, vous voulez pas de ce genre de personnes dans vos vies, c’est pas sain, c’est pas des gens bien, m’voyez ?
Ash repousse les gens avec une froide conviction mais sans cruauté aucune, reste distant sans être idiot, n'est pas enchaîné à tout prix à ses convictions ou ses schémas.
Écueil évité : les deux persos apparaissent humains, racontés par leurs défauts mais lumineux, attachants, drôles.
« Je suis Ash, le garçon d’une seule nuit : certaines le savent et ne viennent que pour ça. (…) Parce que ça leur suffit, parce qu’elles ont été façonnées par des amants égoïstes et qu’elles ont perdu l’estime d’elles-mêmes »
Voyez-vous, j’ai trouvé ce passage intelligent. Ce n’est pas parce qu’on est un coup d’un soir qu’on se sert d’un autre corps pour jouir.
Globalement, la sexualité est écrite, décrite sans tabou (et malgré le défaut pointé au-dessus) c’est un soulagement. Tout va bien, on parle de cul, les gens couchent, whatevs. Ça c’était cool. On esquive pas les scènes avec un "il se passa ce qui devait se passer" (hahaha, si vous avez un peu trainé sur Wattpad vous savez bien de quoi je parle).
« — Tu n’as pas envie de te faire tatouer, toi ?
— Si.
— Alors pourquoi tu ne l’as pas encore fait ?
— Je n’ai pas de pénis. »
Y’a des petits messages intelligents et importants. Des pointes de féminisme, des codes sociaux, des réparties qui parlent d’elles-mêmes. Voilàààà ce que je cherche à dire : il y a une finesse dans la plume et les non-dits qui est parfois excellente.
« — Tu es déçue qu’on n’ait rien fait ?
On se fixe du regard alors que j’essaie de trouver mes mots, mais pourquoi j’hésite ?
— Bien sûr que non.
Cinq secondes de trop pour que ce soit blessant, dix pour que ça sonne vrai. »
Il y a certes quelques longueurs, deux trois moments qui plombent un peu et puis des moments où jme dis mais oui, c’est exactement ça, c'est trop bien dit, c'est trop juste. C’est une jolie vérité posée ici.
« Elle cherche ses mots, pesant probablement l’impact de la moindre de ses paroles, et ça m’emmerde. Elle perd de sa spontanéité face à ma détresse. »
Des micro-moments où jme suis arrêtée pour savourer l’extrait ; vous savez, quand les autres mettent exactement les bons mots sur un moment, une émotion ou un souvenir ? Je serai curieuse de savoir comment on réussi à écrire autant, en si peu de temps, à deux.
« — Il est dans une autre fac ?
— Est-ce que tu veux prendre ta douche ici ?
Son ton claque légèrement, comme un rappel à l’ordre. »
Alors lisez-le pour la justesse, les clichés dépassés et les moments hors du temps.
« Ça me coûte, de me confier, ça crée des liens. »
Bref, quand ma bourse le permettra, direction le tome 2.
« Mais je la repousse : la seule chose que je sache faire par automatisme. »
j'aime bien cette chronique, tu as une façon de lier positif&défauts, objectif&personnel qui est vraiment agréable à lire 🙃